Affaire Franc CFA: Fabrication de la monnaie et arrimage à l'Euro, les alternatives

Franc CFA, pour ou contre ? Voici la maniere dont la question est pose partout, sur les reseaux sociaux, les medias, dans la rue, … experts, activistes, politiques et citoyens se ruent avec passion sur ce theme qui a finalement fait coule beaucoup d’encre et de salive. Alors quel est mon avis ? Pour ou contre ? Ce que je pense, c’est que la question est mal posee. Et pourtant, elle semble l’etre: ceux qui sont “pour” nous brandissent la stabilite economique comme argument principal, et ceux qui sont “contre” nous citent les 4 principes du Franc CFA enonce par le professeur Nicolas Agbohou (la libre convertibilite entre le Franc CFA et l’Euro, la fixite de parite entre le Franc CFA et l’Euro, la centralisation des changes, la libre transferabilite des capitaux). Mais au dela des aspects techniques, les anti-FCFA denoncent la presence de la France dans la gestion de cette monnaie, notamment la banque de France, le tresor francais et l’administrateur francais dans les banques centrales africaines (de l’ouest et du centre). Dans cet article, nous allons explorer deux aspects d’un systeme monetaire, qui semble cruciaux a mon avis: la fabriquation de la monnaie et l’arrimage a une autre monnaie.

De la fabrication de la monnaie

Prenons le cas de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Pourquoi cette banque centrale ne fabrique pas le Franc CFA ? Pourquoi cette monnaie est fabrique en France ? N-ya-til pas la un probleme de souverainete ? Eh bien, pas du tout. Laissez moi vous expliquer. Une banque centrale a pour role d’appliquer la politique monetaire d’un ou de plusieurs Etats, et pour cela, elle emet la monnaie, supervise les marches financiers, fixe les taux d’interet, etc. Mais avant d’emettre la monnaie, il faut la fabriquer, c’est a dire imprimer les billets et battre les pieces. Pour imprimer ces billets, il faut une imprimerie car un billet c’est avant tout du papier. Il en est de meme pour les pieces qui necessitent une frappe (sur du metal). L’impression et la frappe requiert un certain nombre competences(securite, encryptage, etc) qui ne s’acquierent pas du jour au lendemain. Cela ne veut pas dire qu’imprimer ou battre une monnaie sont compliques. Cependant, plusieurs banques centrales confient cette etape de la fabrication de la monnaie a un prestataire. Voici en bas une liste des prestataires de certaines banques centrales dans le monde, pour ce qui est de la fabrication de la monnaie.

[Liste des prestataires de certaines banques centrales dans le monde]

Comme vous pouvez le voir sur cette liste, la BCEAO a pour prestataire la Banque de France et la plupart des pays Africains (et non-Africains egalement) fabriquent leur monnaie hors de leur pays. Est ce un probleme ? pas forcement. Lorsque la monnaie est fabrique, elle est totalement inutile tant que la banque centrale n’a pas emit cette monnaie. En d’autres termes, un billet fabrique par la Banque de france est un simple papier jusqu’a ce que la BCEAO emette ce billet. Ce qui veut dire que c’est la BCEAO qui a le controle de la monnaie qui circule dans sa zone monetaire. Cependant, la banque centrale en partenariat avec les gouvernements, peut decider de fabriquer la monnaie a l’interieur de sa zone: ce qui va necessiter des investissements (ce qui est bien possible si la banque centrale le veut bien). L’exemple de l’Afrique du Sud est parlant. Le Rand sud-Africain etait fabrique hors d’Afrique du Sud jusqu’a ce que le gouvernment decide de creer en 1958 la South African Bank Note Company, co-creee avec une entreprise Anglaise du temps nommee la Bradbury Wilkinson and Co. Cette entreprise avait pour objectif de fabriquer dans un premier temps les billets que la Banque centrale sud-africaine devait emettre. Avec le temps, la Banque centrale sud-Africaine a repris les actions de l’entreprise Anglaise et est devenue proprietaire de la South African Bank Note Company. https://www.resbank.co.za/AboutUs/Structure/Pages/Subsidiaries.aspx

Avec cet exemple, vous pouvez remarquer les etapes par lesquelles le gouvernement est passe pour fabriquer le Rand a l’interieur du pays et en fabriquer meme pour certains pays voisins.

Doit-on forcement fabriquer sa monnaie chez soi ?

Comme je le disais plus haut, pas forcement. Contrairement a ce qui est dit un peu partout, au lieu d’employer le terme de “souverainete”, j’emploierai le terme de “capacite”. L’exemple de l’Afrique du Sud qui a PROGRESSIVEMENT acquis la “capacite” de fabriquer sa propre monnaie nous montre qu’il nya pas une urgence lorsqu’il s’agit de battre sa monnaie chez soi. Cependant, certains cas speciaux peuvent faire reflechir: le dollar Zimbabween. Le prestataire Allemand Giesecke and Devrient du pays de Robert Mugabe a une fois refuse d’imprimer le dollar Zimbabween sous ordre du gouvernement Allemand, obligeant le Zimbabwe a urgemment changer de prestataire en la South African Bank Note Company. La Fidelity Printers and Refinery, societe nationale dediee a l’impression de billets, ne pouvait a elle seule gerer l’hyperinflation. Vous voyez ?! Imaginez qu’un jour la Banque de France refuse d’imprimer le Franc CFA (sur ordre du gouvernement Francais)? Pourquoi, vous demandez ? Pour mettre la pression sur un gouvernement de la zone CFA par exemple ou tout autre chose (clin d’oeil en Cote d’Ivoire). Tout compte fait, meme si il n’est pas urgent de fabriquer immediatement sa monnaie chez soi, il est tout de meme imperatif que la fabriquation de la monnaie soit un objectif dans le temps du ou des gouvernements concernes.

De la fixite de parite et de l’arrimage a l’euro

De cet aspect technique du Franc CFA, on en parle beaucoup. De savoir si c’est une bonne chose ou pas, permettez moi de retablir une verite: le Franc CFA n’est pas la seule monnaie qui a une partie fixe avec l’Euro. Je vous donne ci-dessous une liste de certaine devise qui s’arrime a des monnaies de reference.

https://www.investmentfrontier.com/2013/02/19/investors-list-countries-with-fixed-currency-exchange-rates/

D’ailleurs, la Chine a pendant longtemps arrime le yuan au dollars Americain. Pourquoi ? Parce qu’il permet de maintenir des taux d’echange avantageux dans le but de developer les exportations. Bien sur, l’inconvenient de cette methode est qu’il faut payer pour maintenir cette parite. La Chine en a profite parce qu’elle exporte massivement vers les Etats-Unis. Pour le cas du Franc CFA, on pourrait bien comprendre juste apres les independances un arrimage au Franc Francais puisque la France etait le premier partenaire commercial des pays de la zone Franc. Mais est ce le cas de nos jours ?

Le commerce entre la zone UEMOA et la zone Euro

Prenons l’exemple d’un pays comme le Benin, membre de l’Union Economique et Monetaire Ouest Africaine(UEMOA) et dont le president a une fois defendu le Franc FCFA. Selon des donnees collectees par l’OEC(Observatory of Economic Complexity), le Benin a en 2015, exporte 913 Millions USD et importe 5.61 Milliards USD, qui resulte en une balance commerciale negative pour le compte de l’annee 2015. Le Benin a exporte principalement vers l’Inde, le Vietnam, le Niger, la Chine et Singapore. 35% des importations du Benin proviennent de la Chine, 8.5% des Etats Unis, 6.8% de l’Inde, 5.3% de la France. Comme vous pouvez le constater, l’Europe a une tres faible presence parmi les partenaires commerciaux du Benin, mieux le pays de Behanzin peut meme se passer des importations de la France; il suffit de jeter un coup d’oeil sur les produits concernes pour se rendre compte que le Benin peut s’en procurer dans un pays voisin ou Asiatique. Quel est donc l’interet pour le Benin d’arrimer sa monnaie a l’Euro ? Aucun. Pire, le Benin debourse pour maintenir une parite qui ne lui sert pas. Le seul pays de la zone CFA de l’Afrique de l’Ouest qui peut avoir raison de defendre cette parite, c’est la Cote d’Ivoire. En 2015, le pays a exporte enormement vers les Pays-Bas, la France, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, les Etats-Unis et a beaucoup importe de la France, de l’Italie, mais aussi du Nigeria, des Etats-Unis. La zone Euro est donc le principal partenaire commercial de la Cote d’Ivoire. Doit-on de ce fait expliquer pourquoi le president de ce pays (Alassane Dramane Ouattara) veut l’etendre a toute l’Afrique de l’Ouest ? Comprenez le chers amis. Enlever la parite fixe d’avec l’Euro, certes, ne poser aucun probleme au Benin, au Burkina Faso et autres, mais risque fort de ne pas arranger la Cote d’Ivoire. Malheureusement, la decision d’arrimage ou pas ne peut se faire pour chaque pays, puisque la monnaie est commune. Et quand on sait que la Cote d’Ivoire est la locomotive de l’UEMOA, on se retrouve en face d’un dilemne.

Alors, que faire ?

La presence de la France dans la gestion des affaires Africaines derange. Pas seulement sur le plan de la monnaie, mais aussi sur les plans politique, militaire et culturel. Cependant, il faudra reconnaitre que meme si l’on a la possibilite et le potentiel pour le faire, l’on n’a pas encore la capacite de fabriquer notre monnaie sur place. Il faudra aller par etapes. Je propose de deja changer de prestataire et choisir une entreprise Africaine: la Nigerian Security Printing and Minting Company Ltd ou la Sudanese Currency Printing Press ou encore meme la South African Bank Note Company, qui peuvent bien assurer des billets et pieces de qualite a nos differents pays concernes. Changer de prestataire etant une solution immediate, la solution a long terme serait de mettre en place une entreprise d’impression. Cette entreprise pourrait servir non seulement pour la monnaie, mais egalement pour les passports, les cartes d’identites, les timbres postaux, les cartes d’electeurs, … qui sont souvent fabriques hors du continent.

Doit on changer le nom de la monnaie?

Si l’on veut vraiment montrer que l’on commence un nouveau depart, il faudra changer de nom. Pourtant, je ne pense pas que ce soit la meilleure solution. Pour moi, il est plus raisonable d’attendre la monnaie commune Africaine ou Ouest-Africaine en construction. Dans l’espace CEDEAO (Communaute Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), il est deja prevu la creation d’une monnaie commune qui aurait deja un nom(l’Eco). En outre, les fondateurs de l’Union Africaine avaient egalement prevu la creation d’une monnaie continentale. Au lieu de marcher contre le Franc CFA, n’est-t-il pas mieux de marcher pour l’avenement de cette monnaie commune ? Si l’on change le nom du Franc CFA seulement, ce sera bien identique a regarder le doigt qui pointe la lune.

La question de l’arrimage

D’abord, un pays peut bien se passer de l’arrimage a une monnaie de reference. A mon avis, l’arrimage, si elle doit se faire doit etre momentanee. Et sur ce, [le Nigeria a montre l’exemple en 2016 en retirant son arrimage au dollars americains] (https://www.economist.com/news/middle-east-and-africa/21702474-new-floating-exchange-rate-was-fixed-may-be-changing-if-you-love-it). Immediatement, le Nigeria s’etait renforce politiquement et affaibli economiquement. Mais le Nigeria est toujours une annee plus tard, la premiere economie Africaine. L’exemple de la Chine cite plus haut peut egalement inspirer. Un arrimage ne doit jamais etre definitif. Pour le cas, des pays de la zone UEMOA, si l’“de-arrimage” a l’Euro peut poser un probleme de consensus, l’arrimage au Dollars Americain ou au Yuan Chinois peut arranger tout le monde momentanement. Mais la solution la plus interessante, c’est d’encourager le commerce entre pays Africains. Ce qui va reduire enormement nos echanges avec l’exterieur et rendre l’arrimage a une quelconque monnaie, non-necessaire et/ou inutile.

Corrected by

Youssoupha

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