Le Burkina n'est pas un pays francophone

Voici une affirmation qui peut choquer plus d’un, je l’avoue. Et pourtant, le Burkina n’est belle et bien pas un pays francophone. Dire le contraire, ce serait éliminer la majorité de la population Burkinabé, n’offrir aucun outil à cette majorité pour leur permettre de contribuer à la construction d’une société moderne et faciliter avec joie la disparition de nos langues locales. C’est ce que nos different gouvernements ont malheureusement fait depuis 1960, à l’exception de celui du CNR qui a réellement tenté de redonner à nos langues un souffle nouveau, mais on connait la suite.

Le Francais au Burkina Faso

Selon une publication de l’Institut National de la Statistique et de la Démographie(INSD), en 2006 la langue française se trouvait en 13ème position dans le classement des langues parlées au Burkina Faso. En tête du classement, on avait le moore parlé par 45% de la population, le fulfulde par 8%, le gulmancema par 5%, le dioula par 4%. Certains diront que c’était en 2006 et que nous sommes en 2016, certes. Mais avec l’augmentation de la population dans les provinces, les chiffres de 2016 ne devront pas être très loin de ceux de 2006. Prenons un exemple très simple pour montrer à quel point cette affaire de langue est importante. L’activité économique d’une grande partie de la population urbaine est informelle. Ces opérateurs économiques contribuent pour beaucoup à l’économie nationale, mais comme la plupart d’entre eux n’ont pas le français comme première langue, leurs contributions au PIB est soit ignorées, soit pas suffisamment considérées. Ce qui veut dire que le calcul de la richesse du pays est simplement faux. En plus de cela, on sait bien que le Burkina a une économie majoritairement agricole. Mais qui sont ceux qui exercent cette activité? Certainement pas des gens qui s’expriment dans la langue de Molière. Dans le domaine du Droit, comment voulez-vous qu’un individu qui a pour première langue le gulmancema, comprenne la constitution du Burkina Faso? pourquoi aller si loin … qu’il comprenne ne serait-ce qu’un acte de naissance? L’alphabétisation en langues locales sert à quoi si les documents administratifs par exemple, sont tous en francais ? La réalité, c’est que c’est la minorité de francophones qui contrôlent la majorité de multilingues, parce que à la question “le Burkina est-il un pays francophone?”, la meilleure réponse devrait être “le Burkina est un pays multilingue”. Cependant, c’est la réalité qui fait peur aux Burkinabè. Cette réalité n’est pas que Burkinabè, elle est en fait Africaine. Alpha Oumar Konare l’avait bien signifié lors du 10ème sommet de la Francophonie organisé à Ouagadougou. A l’époque président de la république du Mali, Alpha Konare avait commencé son allocution devant les chefs d’Etats et de gouvernements, en langue bambara pendant de très longues minutes avant de revenir à la langue française. Voici un geste qui devrait être salué par les Africains en général.

Pourquoi a-t-on peur du multilinguisme

Cependant, les Burkinabe (Africains en general) ont peur du multilinguisme. L’école a reussi à nous convaincre que nous ne devons parler qu’une et une seule langue. L’école a reussi à nous faire croire de facon religieuse qu’un des facteurs de formation d’une nation, c’est une langue commune. L’école a reussi, dans la mesure où nous pensons qu’il est impossible de communiquer quand on parle plusieurs langues. Et pourtant, l’ecole a tort parce qu’il ya des contre-exemples à ce qu’elle nous enseigne: la Suisse, Singapoure, le Rwanda ont chacun 4 langues officielles, l’Inde et l’Afrique du Sud ont chacun plus d’une dizaine de langues officielles, la Russie a des dizaines de langues d’Etats bien que le russe soit la langue officielle, … Tant d’exemples qui montrent que le multilinguisme est bien possible pourvu qu’il yait une politique de langues qui devraient permettre à tous les citoyens de participer aisement à la vie de la nation.

Langues, Arts et Lettres

L’école, outre le fait de nous convaincre qu’une seule langue est bien, nous fait croire que les langues Africaines ne servent pas à grand chose dans le monde et que d’ailleurs, ce ne sont que des dialectes; ce qui est à mon avis un manque de respect à l’égard de nos cultures. S’exprimer en français, revient à exprimer le génie créatif de la culture française. Alors, que fait-on pour exprimer le génie créatif de la culture moaga ou kassena ou marka? La culture moaga par exemple a tellement de proverbes qu’on peut en faire une bible, je ne suis pas moaga et je ne parle pas moore, mais je le sais pour en avoir entendu plusieurs de la part de nombreux amis. Le penseur Alexander von Humboldt pensait que “la langue est l’âme des peuples” et que “leur âme est leur langue”. Si l’on suit la logique de von Humboldt, ce que l’on est entrain de faire est d’échanger notre âme contre celle du peuple français si l’on ne la déjà fait. Si c’est vraiment ce que l’on veut faire, ben … qu’il en soit ainsi alors. Ce n’est pas Jocelyne Beroard du groupe Kassav qui dira le contraire, elle qui disait lors d’une interview “Moi, je dis quand on perd une langue, on perd une culture! Donc si votre culture est à zéro et que pour vous il est inutile de préserver cette culture pour vos enfants, d’accord! Tant pis pour vous! Parce qu’exister à travers la culture de l’autre ce n’est pas exister! C’est être colonisé!”

Apprendre sa langue ne veut pas dire refuser d’apprendre d’autres langues

Ce que je promeus, neanmoins, c’est le multilinguisme, c’est à dire la capacite de parler et d’apprendre plusieurs langues en commencant par nos langues. “Celui qui ne connait pas de langues étrangeres, ne connait rien de sa propre langue” selon Wolfgang von Goethe. J’ai la chance de parler couramment le mandarin chinois et de savoir ce que Goethe veut dire. On apprend vraiment plus sur soi-même lorsqu’on cherche à connaitre l’autre. Je ne peux donc pas m’insurger contre la langue francaise dans cet article, loin de moi cette idée. La langue francaise a permi à beaucoup d’entre nous de comprendre le monde dans lequel nous vivons. Mais nos langues locales méritent bien de cohabiter avec le francais, elles sont suffisamment belle, moderne, et elles ont, elles aussi des histoires à nous raconter.

Langues et Education

Un argument que j’entend souvent de la part de ceux qui sont dubitatifs quant à la capacité de nos langues d’etre mise en valeur, c’est “comment on va dire les mots ordinateur ou appareil digestif ou encore physique nucleaire dans nos langues?”. Cette question est très interessante, mais je repond toujours par “c’est parce qu’on ne veut pas le dire dans nos langues qu’on ne sait pas comment le dire”. Ce que les gens ne savent pas, c’est que les termes techniques et scientifiques sont attribues par ceux qui ont inventé ces termes et adaptés dans la langue des autres. Prenons l’exemple de l’ordinateur. Le premier ordinateur a été inventé aux Etats-Unis et les americains l’ont appelé “computer”. Les Chinois n’ont pas inventé cette machine et n’avaient donc aucun mot pour la designer; ils ont decidé quand même de l’appeler “dian nao” en mandarin qui veut dire “cerveau electrique”. Les Chinois ont traduit tous les termes qui leur étaient inconnu dans leurs langues (mandarin, cantonnais, shanghaien, wenzhouen, etc etc). Pourtant ca n’a pas empeché les chinois d’être les plus grands fabriquants d’ordinateurs au monde de nos jours. Il en est de même pour les Japonais qui n’ont pas inventé l’appareil photo ou les Coréens qui, il ya quelques annees ne savaient pas ce que c’est qu’un smartphone, mais narguent aujourd’hui le iPhone avec leur Samsung. Tous ces peuples ont adaptés les termes des autres dans leur langue comme le font d’ailleurs toutes les langues du monde y compris le Ahmaric de l’Ethiopie(seul pays Africain qui n’a pas été colonisé) à l’exception des autres langues Africaines. Quand est ce que l’on va comprendre que le multilinguisme est une richesse comme cela a toujours été le cas dans l’Afrique precoloniale? Pourquoi ne pas valoriser ou seulement reconnaitre nos langues de facon officielle, et mettre en place une politique des langues?

Education multilingue en Afrique

Plusieurs organisations internationales ont publié des documents sur le multilinguisme. L’UNESCO par exemple, a publié un document en 2010 intitulé “Pourquoi et comment l’Afrique doit investir dans les langues africaines et l’enseignement multilingue”, document que vous pouvez retrouver gratuitement sur Internet. Je vous donne juste un seul exemple d’une chose que j’ai retenu de ce document. On apprend que les enfants formés dans un environnement multilingue apprennent plus vite que ceux formés dans une environnement monolingue. Au primaire par exemple, si un enfant monolingue a besoin de 6 ans, un enfant multilingue aura besoin de 5 ans pour avoir le même niveau que le premier enfant. La consequence est qu’une ecole multilingue peut etre constituée de 5 classes au lieu de 6. Ce qui permet d’economiser enormement d’argent ou de reinvestir cet argent dans un autre secteur. Voici un exemple concret du comment l’Afrique peut beneficier de l’héritage de ses ancêtres.

##La confusion entre langue et lingua franca Une lingua franca est une langue qui est parlé et comprise par des populations qui parlent plusieurs langues. Au Burkina Faso, le francais est une lingua franca dans les grandes villes, mais pas dans tout le pays. On dit souvent que les mosses sont partout au Burkina. J’ai ete moi même surpris d’entendre le mooré dans des marchés de Bobo-Dioulasso. Le mooré est bien plus important pour le Burkina que le francais et je suis désolé de le dire aussi froidement. L’anglais est entrain de devenir une lingua franca mondiale. C’est à dire que tous les habitants de la terre sont entrain d’avoir l’anglais comme langue commune. L’anglais est donc plus important pour le Burkina que le francais, encore désolé de le dire ainsi. En realité, l’Afrique est la veritable force de la langue francaise, et comme vous le voyez c’est eux qui ont besoin de nous. A nous de savoir donc négocier.

Nous sommes responsables de ce qui va arriver demain

Nous sommes Africains, nous devons être fier de nous même, de nos traditions et cela passe aussi par la langue. Nos langues sont encore vivantes. Bien plus vivantes que certains ne le pensent. Si nous négligeont nos langues, nous négligeons du même coup notre diversité et notre richesse culturelle. Nous nous négligeons nous-même aussi. Nous pouvons parcontre utiliser nos langues pour contruire nos sociétés de demain. Le burkindlim par exemple est un ensemble de valeurs que tous Burkinabe devraient connaitre, il en est de meme pour le pulaaku. Pourtant il ya aucune traduction de ces termes en francais. C’est aux Burkinabe d’utiliser leurs langues, de comprendre leurs concepts et de les vivre. C’est comme ca que l’on met en place les fondements de sociétés modernes.

Publié sur Burkina 24

comments powered by Disqus